Empilés, c’est la traduction de cette oeuvre monumentale réalisée par l’artiste chinois le plus célèbre au monde, Ai Weiwei. Si l’on connait Ai Weiwei pour ses irrévérences politiques et ses subversions en matière d’art, «Stacked» parait en revanche plutôt muette. En effet, c’est un empilement de vélo créant une silhouette à la fois parfaitement ordonnée mais sans forme précise. De loin, l’objet joue la transparence et l’on distingue vaguement un portail au travers duquel on peut passer. On se rapproche et l’on observe la régularité implacable avec la quelle les vélos sont montés les uns sur les autres. Ainsi, la superposition des roues crée des colonnes géantes, quand les cadres de bicyclettes forment des failles verticales. Ce qui n’est pas sans rappeler quelque église ou temple, dans leur architecture à la fois grandiose et répétitive. Une autre oeuvre exposée actuellement à la Galleria Continua de Pékin nous montre un autre exemple du gout de l’artiste pour l’architecture et le sujet du temple.
La répétition, c’est bien tout l’enjeu de cette pièce qui joue sur le nombre. Alors bien sur le parallèle est vite fait entre cette accumulation et ce milliard trois cent millions de chinois vivant dans un monde ou tout est surmultiplié. La comparaison est un peu facile, et il nous faut faire encore un effort pour mieux comprendre l’oeuvre d’Ai Weiwei. aux extrémités de cette construction, quelques bycyclettes dépassent de la forme générale, permettant d’en fixer encore davantage: l’oeuvre est extensible et d’ailleurs personne ne peut dire si elle est terminée ou non. Ai Weiwei ne nous présente pas un objet fini mais un module, un échantillon d’architecture duplicable à l’infini. Cette oeuvre qui semble à priori être une métaphore de la technique et de l’artificiel, fait curieusement penser à un échantillon d’ADN, lui aussi prolongeable à l’infini. « Stacked », par son agencement fait donc appel à une logique naturelle ou organique. Et l’oeuvre rappelle en cela l’éternelle quête du peintre traditionnel chinois, cherchant à éprouver l’organisation du monde: celle qui régit à la fois les rochers, les nuages, les rivières, dans lesquelles circulent pourtant la même énergie (le qi en mandarin).
Pourtant, ce sont des produits faits par la main de l’homme: des vélos. Mais pas n’importe quels vélos, des Forever, la marque de bicycles la plus populaire de Chine. Un produit commun et universel, simplifié à l’extrême dans l’oeuvre d’Ai. Ici, il n’y a pas de selle ni guidon, et aucune trace de dérailleur. Un moyen de locomotion qui ne permet pas d’avancer. Forever, la marque historique, symbole de dynamisme est aussi celui de la stabilité, voire de l’immobilité. C’est donc une oeuvre qui peut croître et se transformer (une version contenant 1200 vélos a été exposée à la Galleria Continua de San Giminiano), sans pour autant bouger. La croissance dans l’immobilisme, la transformation dans la stabilité, des sino-paradoxes ?
Source : letourdelart.com
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